Alexandra Fieux-Castagnet
Novembre 2020
INTRODUCTION
Le CV est la première interaction qu’ont les employeurs avec les candidats à un poste. La 1ère étape d’un processus de recrutement classique est de faire une sélection grâce au CV qui reflète l’expérience, les compétences et les objectifs de chaque candidat. Selon le baromètre des habitudes des recruteurs de 2018, un recruteur accorde en moyenne 34 secondes par CV. Que se passe-t-il en 34 secondes et que peut faire une intelligence artificielle pendant ce même laps de temps ? Si Simon Baron écrit que le domaine du recrutement résiste encore à l’intelligence artificielle[1], l’IA semblerait pouvoir jouer un rôle significatif en égard à la puissance des algorithmes, à l’importance stratégique du recrutement, à la quantité grandissante de données à traiter, du volume croissant de candidatures reçues par poste.
Quelles sont les applications qui utilisent l’IA dans le cadre du processus de recrutement ?
Nous allons parler de différents types d’algorithmes qui peuvent être appliqués à un processus de recrutement :
- Les algorithmes de « sourcing » aussi bien pour les recruteurs que pour les candidats
- Les algorithmes de « screening » qui permettent de filtrer les candidatures
- Les algorithmes de « matching » qui évaluent les compétences d’un candidat et prédisent son adéquation au poste proposé
- Les algorithmes qui accompagnent le candidat tout au long de son processus de recrutement
Les algorithmes de sourcing
Les algorithmes de sourcing répondent à des besoins définis par un recruteur ou un candidat en analysant des quantités importantes de données. Ces algorithmes sont, pour l’heure, les plus développés et utilisés en matière de recrutement. Le principe de ces algorithmes est de procéder par mots clés qu’ils pondèrent en fonction des offres et des candidats. Ils sont fondés sur la reconnaissance d’écriture et l’apprentissage supervisé. Par exemple la pratique du sport serait davantage valorisée pour un emploi chez Décathlon.[2]
i. De candidats
L’objectif de ces algorithmes est de partager une offre d’emploi au plus de candidats possibles qui pourraient correspondre au profil recherché. Les algorithmes parcourent donc le maximum de réseaux pour partager une offre (LinkedIn par exemple), et une fois les potentiels candidats informés, ils font correspondre les compétences des candidats avec celles renseignées par l’entreprise. L’algorithme maximise ainsi le nombre de potentiels candidats informés, analyse les dizaines de milliers de CV qui les décrit et n’extrait que les plus pertinents pour les envoyer au service RH. Yatedo propose ce genre de solutions et se décrit comme le « Google du recrutement » en France. Arya collecte toutes les informations disponibles sur internet pour dénicher les candidats les plus compétents pour le poste proposé.
Textio se concentre sur l’optimisation de l’impact du contenu d’une offre d’emploi. Cet algorithme propose donc la rédaction qui attirera un maximum de candidats.
ii. D’offres d’emplois
Les candidats sont également à la recherche des offres qui sont les plus à même de correspondre à leurs critères de recherche. Certains algorithmes fonctionnent donc comme un moteur de recherche d’emploi pour les candidats. A l’inverse, l’algorithme part du CV que lui fournit le candidat, l’analyse et lui propose les postes les plus pertinents pour ses compétences. On appelle également ce type d’algorithme des « CV catchers ». Ainsi LinkedIn ou ZipRecruiter proposent aux utilisateurs les offres qui correspondent le mieux avec ce qu’ils renseignent sur leur profil. Ces algorithmes permettent parfois aux candidats d’identifier des offres auxquelles il n’aurait pas pensé.
Sourcing de candidats et d’emplois sont souvent reliés. Ainsi un même algorithme peut proposer les entreprises les plus en adéquation avec un candidat et ce candidat aux dites entreprises. C’est la proposition de Jobijoba en France dont l’algorithme est déjà utilisé par une soixantaine d’entreprises, dont Carrefour et Axa1 et fonctionne dans 80% des cas.
On retrouve également parmi les acteurs des géants comme Google qui avec son outils Google for Jobs collecte des offres d’emplois puis les trie selon différents critères comme la localisation, le type de contrat ou encore la date de publication.[3] En effet, grâce aux compte Gmail, Google a déjà accès à nombreuses de ces informations sur les potentiels candidats : les durées trajet domicile-travail grâce à GoogleMaps par exemple. Google propose également ses services aux recruteurs directement, agissant alors comme un forum d’emploi.
Les algorithmes de screening
Les algorithmes de screening font une première sélection de l’ensemble des CV proposés pour un poste. Ils filtrent les meilleurs profils qui seront retenus pour la suite du processus de recrutement. En plus de détecter les mots clés, ces algorithmes décryptent la sémantique des CV et analysent le vocabulaire utilisé, la tournure des phrases, etc. Cette étape supplémentaire dans l’analyse du CV permet à ces algorithmes de mesurer la cohérence du profil et des compétences avancées par le candidat. Ideal ou Sniper AI sont des exemples de solution de screening.
Dès ce stade du processus de recrutement, l’analyse du CV peut être complétée par une conversation basique avec un chatbot. Ces chatbots, comme ceux de Mya ou Paradox, contactent les candidats retenus et vérifient qu’ils possèdent certaines compétences basiques, qui peuvent être spécifiques au poste. Le groupe l’Oréal utilise ce type de chatbot dans les premières phases du recrutement.
Les algorithmes de matching
Le matching correspond à une granularité de sélection plus fine que les deux étapes décrites précédemment. Les algorithmes de matching sont définis selon le recrutement qu’on appelle prédictif. L’algorithme projette ainsi le candidat dans la fonction à laquelle il prétend et évalue le degré de compatibilité entre celui-ci et les attentes et compétences exigées pour le poste.
Cette évaluation nécessite une interaction, source de plus gros volumes de données, et l’algorithme ne se contente plus de la lecture et l’analyse des CV des candidats. Les hard skills sont mesurables et quantifiables, mais appréhender les soft skills est beaucoup plus difficile. Par exemple, la gestion de projet s’exprime de 14 façons différentes, note Loic Michel, PDG de 365Talents. C’est pourquoi les services RH s’appuient de plus en plus sur l’Intelligence Artificielle pour analyser la sémantique, le langage naturel et capter toutes les données non structurées.
AssessFirst, se base sur trois critères comportementaux, identifiés par l’algorithme, pour évaluer la possible relation professionnelle entre le candidat et son futur manager. L’algorithme identifie ainsi le profil comportemental du manager et sélectionne les critères les plus pertinents à évaluer auprès des candidats. L’évaluation comportementale soumise par l’algorithme aux candidats évalue leur motivation, leur personnalité et leur compatibilité avec celle de leur futur manager. AssessFirst promeut ainsi une solution qui s’adapte et tient compte de la culture d’entreprise et s’impose donc comme outil d’aide à la décision. Aujourd’hui plus de 3500 entreprises dans 30 pays différents utilisent cette solution, ce qui permet à AssessFirst d’analyser les données de plus de 5 millions de profils, aussi bien candidats, employés ou recruteurs.[4]
HireVue propose une solution d’analyse de vidéos d’entretien. Une intelligence artificielle analyse les expressions faciales, les mots employés, le ton des candidats et des dizaines de milliers d’autres facteurs selon l’entreprise. Il attribue ensuite une note à chaque candidat selon son degré d’employabilité pour le poste proposé et l’entreprise cible.[5]
Ces outils de traitement automatique de l’image sont déjà largement utilisés aux États-Unis alors qu’encore peu en France, grâce à Easyrecrue ou Visiotalent par exemple. La startup française Whoz qui se concentre sur le recrutement d’experts aux compétences pointues pour des industries telles que l’aéronautique ou la métallurgie, a monté un partenariat avec un laboratoire suisse qui promet de mesurer les compétences comportementales à partir d’un entretien vidéo différé. Le candidat se présente et répond à une liste de questions et l’intelligence artificielle en analysant les modulations de sa voix, les respiration, l’élocution, les micro signaux des expressions du visage, permet de mesurer sa confiance en soi, sa motivation, son aisance à parler en public, son adaptabilité, sa créativité, son intelligence relationnelle etc. Pour l’instant, le laboratoire est en phase de développement et n’est pas suffisamment fiable. L’algorithme est entrainé grâce aux avis de psychologues et recruteurs.1 Easyrecrue propose déjà un algorithme qui analyse le contenu verbal (richesse lexicale, précision du vocabulaire, hésitations, répétitions, ton, etc.) mais n’a pas encore intégré la reconnaissance faciale. Ce projet est lui aussi entouré d’un comité scientifiques composé de psychologues, d’enseignants chercheurs du CNRS, de Télécom ParisTech et de CentraleSupelec.[6]
La plateforme le Vrai du Faux automatise la prise de références professionnelles. Grâce aux coordonnés fournis par les candidats, les anciens managers peuvent donner leur avis sur la plateforme. L’algorithme du Vrai du Faux pondère ensuite ces résultats selon différents critères comme la durée, le type du contrat, la pertinence du poste par rapport à l’offre d’emploi, etc.[7]
You-Trust fait également intervenir des tiers lors des dernières étapes du processus de recrutement. La startup propose au candidat une évaluation à 360° : le candidat s’auto-évalue et propose à ses managers, pairs, subordonnés, partenaires ou clients de l’évaluer également. You-Trust ajoute à cela une analyse de personnalité et de motivation grâce aux tests Big Five et Culture Fit. L’algorithme est utilisé par de grands groupes comme France Télévisions, SNCF, PageGroup ou L’Oréal pour développer la mobilité interne. L’avantage de cet algorithme est qu’il tient compte de compétences ou d’aptitudes pas toujours conscientisées par l’employé.
Clustree est une autre solution de gestion de carrière qui s’adresse aux grandes entreprises dans lesquels le service RH n’a pas les moyens matériels de suivre individuellement chaque employé. Classiquement, on compte un responsable RH pour 300 collaborateurs. Or on constate que beaucoup de personnes démissionnent par manque de visibilité sur les opportunités en interne.6 L’algorithme de Clustree analyse les parcours de carrières de près de 250 millions de candidats grâce aux plateformes Linkedin ou Monster et permet ainsi d’identifier les corrélations entre les compétences : si un candidat a la compétence A, il y a x% de chance qu’il ait également la compétence B. 6
Les avantages d’intégrer l’intelligence artificielle au processus de recrutement
Gain de temps par candidature permettant d’augmenter le volume de candidatures reçues
Les algorithmes de sourcing et de screening permettent à une Intelligence Artificielle d’analyser une pile de CV en quelques secondes, alors qu’un recruteur aurait dû y consacrer des heures. En gagnant du temps par analyse d’un CV, l’Intelligence Artificielle peut traiter un volume de données plus important. L’analyse d’un CV par une intelligence artificielle permet par exemple, à un candidat ou à un recruteur de proposer des postes ou des profils qu’il n’aurait pas envisagé. En ouvrant le champ des possibles vers des offres ou des candidats pertinents, l’Intelligence Artificielle permet de faire gagner du temps aussi bien aux recruteurs qu’aux candidats.
Mathilde Le Coz, directrice de l’innovation RH du cabinet d’audit Mazars, explique que l’utilisation d’un chatbot répondant aux questions des candidats potentiels et planifiant les entretiens, a permis d’augmenter de 50% le nombre de candidatures reçues en 2019.[8]
En effet, ces outils répondent à une problématique opérationnelle des recruteurs et leur permettent d’élargir le sourcing, de traiter des volumes de données croissants tout en se consacrant sur des critères qualitatifs. Les recruteurs ont ainsi davantage de temps pour se consacrer à des tâches à plus de valeur ajoutée, par exemple l’intégration des nouvelles recrues.
Ce gain de temps est un argument essentiel pour l’adoption de services de recrutement en ligne, aussi bien par les candidats que par les entreprises.
Diminution de la marge d’erreur de recrutement et son impact direct sur la réduction de coûts et l’amélioration de la performance
L’Intelligence Artificielle, en plus de traiter des volumes considérables d’informations en quelques seconde, diminue la marge d’erreur. En effet, l’Intelligence Artificielle peut rapidement détecter une incohérence de date, de géographie qui pourraient paraitre inaperçue à un recruteur. En traitant davantage de candidatures, l’Intelligence Artificielle augmente la probabilité de trouver un candidat pertinent pour le poste en améliorant la rencontre de l’offre et de la demande.
De plus, en traitant des données non structurées (sémantiques, expressions faciales etc.), l’Intelligence Artificielle permet de dresser un profil complet de chaque candidat, et donc d’améliorer la qualité du « matching » entre candidat et offre d’emploi. Lorsque, du fait du volume de données à traiter, une intelligence humaine se baserait sur son instinct, l’Intelligence Artificielle peut prendre une décision rationnelle fondée sur des éléments objectifs. Ainsi, JobiJoba, grâce à son CV Catcher, permettrait d’augmenter de 44% le nombre de candidatures et de réduire de 22% le nombre de réponses négatives.[9]
Cette marge d’erreur diminue avec l’entrainement des algorithmes et la quantité de données qu’on leur fournit. L’Intelligence Artificielle améliorera donc sa performance au cours de son utilisation, jusqu’à être capable de prédire la performance d’un candidat pour un poste. Ainsi, à force de faire lire à une Intelligence Artificielle des centaines de CV, elle cromprendra que selon le contexte « ingénieur d’affaires » et « ingénieur commercial » signifient la même chose, explique Yves Loiseau, le directeur général d’Europe du Sud de Textkernel.[10]
En augmentant l’efficience du processus de recrutement et en maximisant la performance de son résultat, l’Intelligence Artificielle permet également une économie de coûts. En plus de diminuer les coûts associés à l’analyse d’un tel volume de données par des responsables RH, recruter des profils pertinents pour chaque poste augmente la performance de l’entreprise et réduit le turnover des employés. Ainsi AssessFirst clame pouvoir en moyenne augmenter la performance des entreprises qui utilisent son service de 25%, de réduire leurs coûts de recrutement de 20% et de diminuer le turnover de leurs employés de 50%.4
Traitement des candidats avec objectivité et équité
Une grande promesse de l’utilisation des algorithmes pour le recrutement est de lutter contre la discrimination à l’embauche. En effet, les algorithmes sont insensibles à la fatigue et d’une froide rationalité, ils traitent donc les candidats de façons plus équitable. Un article de l’université de Cornell, paru en décembre 2019, analysant 18 entreprises proposant des solutions de recrutements à l’aide d’algorithmes, conclut que la majorité de ces solutions sont plus justes. Cependant, il est difficile de l’affirmer avec certitude, compte tenu du fait que le fonctionnement des algorithmes auto-apprenant est opaque. 5
Il y a différents usages des algorithmes pour augmenter l’objectivité du recrutement.
Certains s’attachent à réduire les préjugés inconscients des recruteurs en créant des solutions de filtrage aveugles basées uniquement sur les compétences. D’autres constituent un groupe de candidats diversifié en s’approvisionnant auprès de groupes sous-représentés.
Lorsqu’un biais est constaté dans les recrutements, un algorithme peut le compenser en appliquant de nouveaux critères, rationnels et objectifs. Par exemple, si la parité hommes/femmes d’une équipe est sévèrement défavorable aux femmes, l’algorithme peut compenser cette tendance en élargissant le sourcing de candidates et en rendant non différenciant le caractère du genre dans la prise de décision au cours du processus de recrutement.
Pour conclure, l’algorithme est évolutif et s’adapte aux nouveaux besoins. Il peut par exemple être utilisé dans d’autres contextes que le recrutement et devenir une solution d’analyse de cohésion d’équipe, etc.
Les risques et impacts de l’intelligence artificielle sur le futur du recrutement
Le manque de transparence et l’amplification de biais humains
Si on a évoqué l’opportunité que représentaient les algorithmes en matière d’objectivité de traitement des candidats, il est important de souligner que l’algorithme appuie la modélisation de ses recommandations et décisions sur des corrélations faites entre les données qu’on lui a fournies pour l’entrainer. Il est donc également dépendant des corrélations qui ont pu être provoquées par l’homme, consciemment ou inconsciemment.
Par exemple, Amazon a fait appel à l’intelligence artificielle pour faciliter le screening de ses candidatures en 2014. Un an plus tard, l’algorithme ne laissait passer que des profils masculins. En effet au cours des 10 dernières années, Amazon a reçu beaucoup plus de candidatures d’hommes que de femmes. L’analyse de cette répartition des données par l’algorithme a abouti à la conclusion que les hommes avaient un profil plus adapté à ce type de poste. En 2017, Amazon choisit de revenir au recrutement traditionnel.
Nécessitant d’être nourri et entrainé par des volumes de données importants, le recrutement prédictif implique de mobiliser des données passées pour prédire la performance future d’un candidat. Il est cependant contestable de reproduire les schémas exercés auparavant, qui semblent être à risque d’exacerber la discrimination à l’embauche. Si l’IA ne reproduit pas le processus de la pensée humaine, il produit ses résultats et donc ses préjugés, souligne Gaspard Koenig dans un entretien à « l’Obs ».
Impasse pour remplacer l’intelligence émotionnelle humaine
Nous ne sommes qu’aux balbutiements des algorithmes capables d’identifier les compétences relationnelles grâce à l’analyse du langage ou des expressions faciales. La technologie d’analyse sémantique ne permet pas de traiter des interactions complexes. Nous ne pouvons donc pas compter sur la fiabilité de l’Intelligence Artificielle qui, pour le moment, ne se substitue pas à l’intelligence émotionnelle humaine.
Par exemple, l’algorithme ne sait pas tenir compte du stress du candidat sans lui en tenir rigueur.
Nous nous heurtons, comme dans beaucoup de cas d’usage de l’Intelligence Artificielle, à la complexité d’analyser la pensée humaine pour un algorithme dénué d’empathie. En effet, si nous ne sommes pas non plus capables de comprendre la pensée humaine dans ces moindres détails, l’empathie, la capacité à ressentir l’émotion d’autrui, nous permet de prendre des décisions avisées rapidement.
Plus le processus de recrutement avance et plus les critères de recrutement se complexifient, moins les algorithmes peuvent les prendre en charge.
Coûts d’implémentation significatifs et discriminants
L’implémentation de ces solutions de recrutement utilisant les algorithmes représentent des coûts importants pour leur installation et leur maintenance. L’intégration des algorithmes dans le processus de recrutement se fait donc souvent au dépit du maintien du même nombre de responsables RH pour ces étapes que dans un processus traditionnel et menace ainsi une partie de l’emploi du secteur des ressources humaines.
De plus, du fait de leurs coûts conséquents, le périmètre d’utilisation des algorithmes se restreint à des entreprises traitant de gros volumes de recrutement.
Nous avons donc des données très similaires qui sont utilisées par les algorithmes dont le volume est limité et qui ne permet pas de prendre du recul sur le fonctionnement de l’entreprise. On trie donc les candidats sur la base de données qui ont été jugées être bonnes mais dont le volume et la diversité sont insuffisance pour assurer une représentativité qui permette d’éliminer les biais des recrutements passés, comme nous l’avons vu précédemment.
Respect de la vie privée et partage de données consenti mis à mal
Lors de l’envoi d’un CV à un recruteur, le candidat consent tacitement à partager ces informations. Mais qu’en est-il lorsque d’autres données comme la géolocalisation, les informations disponibles sur internet, l’analyse sémantique et la reconnaissance faciale, etc. ?
En 2019, l’Illinois est le premier état américain à voter une loi pour protéger les candidats lors d’un recrutement utilisant des algorithmes. L’employeur doit demander la permission au candidat avant d’enregistrer une vidéo d’entretien, d’utiliser une intelligence artificielle et doit informer de l’utilisation des données du candidat pour l’évaluer. De plus, ces données ne peuvent être conservées plus de 30 jours.
Mais lorsque les algorithmes sont impliqués dans les processus de recrutement, le département RH est restructuré en conséquence, pour des économies de coûts et des gains en efficacité comme nous l’avons vu précédemment. Les candidats refusant de partager leurs données et de se soumettre au scan de ces algorithmes pourraient ne pas avoir d’autres alternatives pour avancer dans les étapes du recrutement et donc être de facto éliminés. Est-ce donc vraiment un partage consenti des données ?
Des moyens de duper les algorithmes
Les algorithmes sont jugés plus fiables que les recruteurs, cependant cette technologie en essor n’est qu’à ses balbutiements et peu implémentée, elle reste donc faillible. L’utilisation de ces failles permet à certains candidats de « tricher ». Par exemple, écrire blanc sur blanc des mots clés, des noms de grande écoles ou diplôme pourrait permettre de passer le screening car l’algorithme les traiterait comme le reste du contenu du CV. Au fur à mesure de l’utilisation des algorithmes pour accompagner le processus de recrutement, ces failles peuvent être identifiées et corrigées.
Une IA qui intervient a posteriori
La richesse du recrutement est tout le travail en amont pour affiner la compréhension que l’on a d’un métier, être capable de le faire interagir avec d’autres et évoluer dans le temps. Les algorithmes interviennent dans le recrutement comme puissance statistique en reproduisant les recrutements passés, sans innover, et non pour comprendre ce à quoi on n’a pas pensé, recueillir les ressentis et expériences liées à un métier et ne pas ainsi tomber dans une forme de clonage des schémas de recrutement qu’on a déjà pu appliquer par le passé.
Enfin, il semble essentiel de prendre du recul et de comprendre comment l’utilisation de ces nouveaux outils est vécue par les candidats et les employés.
CONCLUSION
Les algorithmes sont déjà partie prenante des processus de recrutement et nécessitent une adaptation à la fois des recruteurs et des candidats à ces nouveaux outils qui accompagnent tous les stades du processus de recrutement. Les trois grandes classes d’algorithmes que nous décrivons sont les algorithmes de sourcing, screening et matching. L’utilisation des algorithmes permet, par le traitement de volumes de données plus importants, un gain de temps et de productivité et une diminution de la marge d’erreur. De plus, par son fonctionnement logique, rationnel et objectif, son utilisation prévient certaines inégalités de traitement des candidats. Cependant, du fait que l’utilisation de ces algorithmes soit encore récente et couteuse, les données utilisées ne permettent pas de prendre du recul sur la qualité du recrutement et les algorithmes reproduisent des schémas préétablis, pour le meilleur et pour le pire. Un autre risque est que son utilisation ne permette pas d’alternative et contraignent donc certains candidats à partager leurs données personnelles et à se soumettre à l’analyse d’un algorithme. Les algorithmes sont pour l’instant davantage utilisés dans les étapes de recrutement nécessitant un traitement d’importants volumes de données comme l’analyse de CV. Leur fiabilité n’est pas encore inébranlable pour comprendre les compétences, intentions et émotions d’un candidat lors d’une discussion ou d’une vidéo. Au fur à mesure d’entrainement, il est possible de corriger leurs erreurs, les biais que révèlent les data sur lesquelles ils s’appuient et de personnaliser leur analyse en fonction des types de postes, entreprises, candidats. Les nombreuses startups investissant sur des algorithmes pour aider au recrutement n’ont donc pas encore dit leur dernier mot et continueront de façonner le futur du recrutement.
REFERENCES
[1] Opinion | Recrutement : ce que l’intelligence artificielle peut changer, Le Cercle Les Echos, 6 janvier 2020
[2] CV disséqué, entretien vidéo, émotions scrutées… comment l’intelligence artificielle nous recrute – L’Obs – 22 octobre 2019
[3] Google à nouveau accusé de pratiques anti-concurrentielles, cette fois pour la recherche d’emploi – Usine Nouvelle – 13 août 2019
[4] AssessFirst Announces U.S. Expansion – Business Wire – 10 septembre 2019
[5] Les algorithmes s’immiscent à chaque étape du recrutement – Journal du net – 07 septembre 2020
[6] Solutions RH : 5 acteurs qui transforment la gestion des talents avec l’IA – Silicon.fr – 28 février 2019
[7] Les Echos Business – Delphine Iweips
[8] Entreprises : comment les robots s’immiscent dans le recrutement – Le Point – 06 janvier 2020
[9] Des recrutements à la mode chatbots chez Mazars – L’AGEFI Hebdo – 12 mars 2020
[10] Votre recruteur est-il un algorithme ? LSA.fr – 11 avril 2019